Petit chiot chanceux, ce n’est pas juste, pourquoi toi plutôt qu’un autre ?
Maman n’a pas eu la force de te faire vivre à temps comme les autres. Tu es resté juste un peu trop longtemps dans le conduit utérin alors tu as bu la tasse de liquide amniotique et tu t’es noyé sans souffrir
Alors, maman est très déçue. Elle t’attendait, elle aurait fait autant pour toi que pour tes petits frères et sœurs. Elle t’aurait aimé, choyé d’ailleurs elle te lèche très fort, plus fort qu’un autre. Elle a bien compris que tu ne réagissais pas comme les autres. Elle lèche pour frictionner, réchauffer, elle essaie de te redonner une chance… Une chance...Parce que pour elle, l’instinct, le combat c’est la vie, la vie qu’elle voudrait te redonner, petit chiot. Elle ne sait pas que c’est toi l’élu, tu as la chance de ne pas connaître ce qu’aurait pu être ta “vie ?”...
Maman a une obligation de résultat : produire en quantité et qualité. Ce qu’elle fera au mieux puisque la nature emprunte toujours le meilleur chemin.
En choisissant le chien, on est bien sûr d’avoir des portées de plusieurs sujets. Pour la qualité, la sélection génétique est bien avancée. Pas de normes compliquées avec des rapports difficiles à obtenir entre la longueur du chanfrein et du crâne, la longueur du dos ou la profondeur du poitrail pour le standard de la race : il n’y a pas de race !
L’idéal étant une bonne grosse race rustique et massive qui se reproduit en nombre et sans difficultés de mises bas, croisée avec un chien plus léger aux instincts primaires donc très porté sur Les accouplements fréquents et le voilà le standard !
Et voilà cette merveilleuse portée de dix chiots tous bien portant qui babillent autour de maman. Tour à tour elle nettoie, surveille, rappelle à l’ordre. Elle gère sa petite famille , fière de sa progéniture pour laquelle elle a donné de sa santé, de son instinct maternel. Des heures de travail !
Avez vous déjà passé une nuit avec une chienne qui a une portée ? On a l’impression qu’elle ne dort pas de la nuit tant il y a à faire.
Les bébés grandissent, vient le sevrage et son inévitable séparation pour apprendre à manger tout seul dans la casserole. Bon, ce n’est pas le tout mais quand est ce qu’on va sortir de cette cage? On est trop nombreux dans celle ci et on aimerait bien courir et jouer, nous!
La voilà cette séparation. Pour jouer, ce sera moins drôle. Mais de toute façon, ce n’est pas grave car on n’a moins envie de jouer à trois mois.! Si je joue trop, il parait que je vais devenir trop ” dur ”, alors je dors et j’écoute les bruits.
J’entend souvent des aboiements, des hurlements, d’ailleurs, je n’entend plus aboyer maman ces derniers temps...
Voilà enfin le grand jour de la sélection ! Deux hommes passent devant nos cages et nous regardent attentivement puis prennent des notes; il va sûrement se passer quelque chose…
Pour mon frère, ils ont dit : reproduction et pour moi ils ont dit dans quinze jours. Ma petite soeur est partie en laisse “ au marché”. Les hommes qui nous soignent lui ont mis une petite corde à son cou et comme elle avait peur, ils ont dû la traîner. Elle pleurait.
Encore une sélection, et cette fois c’est pour moi: la corde pour aller au marché. Après quelques hésitations, je me laisse faire car on est gentil avec moi, je suis l’homme que je connais bien avec d’autres chiens comme moi. On nous met dans des cages toutes petites, et hop dans un camion. Il fait chaud et ça fait peur.
A peine arrivés on nous descend du camion pour nous exposer dans nos petites cages et même certains sont obligés de rester serrés à plusieurs dans leur cage. J’ai peur.
Des gens passent et nous regardent. Des femmes aussi avec des enfants. Ca a l’air gentil, les enfants.
Quelques minutes plus tard, une femme est revenue avec deux petits enfants. Elle a choisi un chien qu’on a fait sortir de la cage. L’homme qui nous a emmené lui a demandé si elle voulait qu’il soit “préparé”. Elle a répondu : non c’est pour les enfants.
Alors l’homme a pris un grand couteau et a tranché la gorge du chien qui se débattait et hurlait sur la table. Puis, il lui a vidé le ventre et lui a retiré sa belle peau. C’était horrible ! Horrible ! Jamais plus je ne voudrais voir ça. Pourtant les enfants ont regardé sans rien dire, sans pleurer, ils continuaient à parler comme si rien n’était.
Un vieil homme s’est approché et a dit à l’homme qui a tué le chien :” quel gâchis ! Il n’aura aucune vertu, il n’a pas souffert ! Une bonne cuisine de chien c’est au moins une heure de souffrance si tu veux des vertus aphrodisiaques. Monsieur “X ” utilise depuis peu l’électricité pour les affoler un peu, il commence déjà un peu à la ferme, la viande est meilleure !
Quand il est parti, une autre femme est venue et m’a choisi dans la cage. Je me suis dit alors que la fin était proche et que j’allais mourir égorgé sur la table comme l’autre chien. Mais elle a dit : “Pouvez vous me l’améliorer, je repasserai dans deux heures.”
J’ai compris alors pourquoi celui qui est “passé” avant moi avait plus de chance. Améliorer c’est quand on m’attache presque pendu et que l’on me bat à coups de gourdin pour me faire peur et mal. Ma souffrance et ma peur donne à ma viande des vertus aphrodisiaques par l’adrénaline qui se dégage. J’ai souffert, souffert et j’aurais tout donné pour que ça s’arrête...
Mais quand ça s’est arrêté, je ne l’ai même plus senti...